Et si le design-doing venait détrôner le design-thinking… !?
Et si nous disions « non » à tout projet innovant parfaitement ficelé dans un excel mais qui serait dépourvu d’une charge émotionnelle positive ?
Puisque la créativité devient l’une des 4 Compétences-Clés du 21ème siècle (Créativité, Collaboration, Communication, esprit Critique), prenons le temps de comprendre les nouveaux ressorts des prototypes MAYA et MVP à la source de l’innovation aujourd’hui.
Les processus de divergence/convergence ont toujours été à la base du processus créatif, mais les « innovation journeys » sont aujourd’hui rattrapés par le besoin d’accélération et la vitesse d’exécution. On ne créée plus un produit fini ou une idée finie avant de la lancer sur le marché. Le moment d’idéation n’est jamais très loin du prototype, préalable indispensable avant de rendre l’idée « scalable ». Cette courbe suit d’ailleurs le mode de création des start-up : un premier investissement minimum pour lancer l’idée, une phase condensée pour tester le marché puis seulement ensuite la levée de fond réelle pour le développement massif. Trois points d’appui me semblent utiles pour soutenir cette quête d’innovation : passer du design-thinking au design-doing, accepter les prototypes MAYA (Most Advanced Yet Acceptable) et MVP (Minimum Viable Product).
Passer du design-thinking au design-doing
Travaillant depuis de nombreuses années sur les processus d’intelligence collective, j’ai été marqué récemment lors d’un séminaire avec Ron Fry, le co-fondateur de l’Appreciative Inquiry, de voir que si les étapes « discovery-dreams » restent fondatrices, le poids porté à la phase « design » est capitale dans le succès de la démarche. La société américaine IDEO, réputée au top mondial du design et de l’innovation utilise copieusement la matérialisation physique lors du processus créatif ; designer le caddy de demain dans un hackathon ne peut plus se concevoir sans physiquement construire le produit avec les moyens du bord pour avoir un « proto » dès la fin de cette étape. Ce qui est vrai pour les produits l’est aussi pour les projets et initiatives diverses dans une organisation. Je m’aperçois à l’usage que si trouver des métaphores au moment du rêve est nécessaire pour décontextualiser, construire l’objet illustrant la meilleure représentation de l’idée qui porte le meilleure espoir suite au processus d’idéation va donner l’élan vital à la réalisation du projet par l’équipe. C’est un moment émotionnel fort qui précède tout formatage du plan d’action en vue de la réalisation finale.
Les prototypes MAYA et MVP
L’idée de la démarche MAYA consiste à designer le future en intégrant l’état d’esprit actuel de l’utilisateur. Loewy, l’auteur de cette démarche, disait de manière provocatrice : pour vendre quelque chose de surprenant, rendez-le familier et pour vendre quelque chose de familier, rendez-le surprenant. En termes savants : l’équilibre entre neophilia (la curiosité pour la nouveauté) et neophobia (la peur du neuf). Bref, rendre l’audacieux instatement compréhensible. D’où l’idée du « Most Advanced » dans la limite du « Yet Acceptable » littéralement « ce qui existe de plus avancé mais de cependant acceptable », une recette qui a fonctionné à merveille dans le déploiement graduel de l’iPod ou de l’iPhone. Aujourd’hui, la nécessité d’un manuel d’explication signifie que le produit est trop avancé ou complexe pour son usage…
En matière de développement personnel, le lien avec le concept de Vygotsky sur la ZPD (zone of proximal development) est saisissant. Sa théorie : chacun a une limite basse de ZPD, pour apprendre par soi-même sans aide, sans manuel, sans instruction ou presque. C’est cette zone basse que peut toucher l’apprentissage digital distanciel de nos jours ; chacun a une limite haute de ZPD qui nécessite l’aide d’un facilitateur, dans mon domaine d’activité la formation présentielle est une belle illustration de ce qu’on ne peut obtenir par la limite basse.
La version moderne de MAYA est devenue MVP (Minimum Viable Product), largement soutenu par les courants du Lean management et des démarches Agiles. C’est l’aboutissement d’une méthode de travail itérative, un processus souvent utilisé par les UX designers pour concevoir rapidement un produit afin d’avoir une vue de sa finalité. C’est le ressenti de l’utilisateur qui distingue l‘UX de l’utilisabilité, ouvrant en cela un champ bien plus large que la bonne utilisation d’une interface et liant des disciplines qui s’interpénètrent les unes les autres (technique et design, cerveau gauche et cerveau droit). Un MVP possède toutes les caractéristiques d’un produit fini, seulement elles ne sont pas abouties dans leur intégralité. La démarche reste identique au MAYA : le nouveau concept se définit dans le « you eyes » de l’utilisateur final, avoir un storytelling visuel de l’attendu, créer une ébauche utilisable afin d’avoir une visualisation rapide et efficace du produit final… pour pouvoir le tester et revisiter les hypothèse de départ sur le constat du réel…
En résumé :
“ Faire du design-doing de nos projets, c’est donc dire NON à un document Excel qui ne serait pas porté par une charge émotionnelle positive de toutes les parties prenantes. Cela implique donc de faire précéder toute démarche cerveau gauche par un voyage dans le cerveau droit, … le cerveau de la créativité par essence même. Le limbique avant le cortex. CQFD ! ”
Si l’émotion précède l’usage, il faut alors déceler les états affectifs à valence positive dans le ressenti de l’expérience utilisateur, là où se niche la vraie valeur de toute innovation. Et seulement à partir de cette toute première expérience, de ce « produit minimum viable », faire évoluer le projet en faisant s’influencer mutuellement le cognitif et l’affectif. Accepter l’imperfection de l’exploration avant l’excellence de l’exploitation, un beau challenge à celles et ceux qui seraient trop habité par un « soit parfait » trop pentu…
En prime, une réflexion personnelle sur votre créativité : de quelles pratiques créatives êtes-vous (extrait du « Quel manager êtes-vous » co-édité par Krauthammer / Laurent Magnien & Daniel Eppling)
Niveau 4
- « Sort du cadre » : imagine, innove, crée
- Anticipe et incite en permanence ses collaborateurs à innover
- Cherche à déconstruire avant de reconstruire
- Alterne pensée fluide, originale, iconoclaste puis pensée efficace, pragmatique, réaliste
Niveau 3
- Produit de nouvelles solutions en faisant évoluer l’existant
- Ré-agit et invite à la créativité pour résoudre des problèmes immédiats
- Cherche à construire immédiatement
- Se montre appliqué dans le processus divergent, conformiste pour faire converger les idées
Niveau 2
- Reste dans le cadre, ne fait qu’arranger l’existant
- Ne fait rien de particulier pour la susciter
- Veut de suite l’idée magique sans chercher
- Se précipite dans les pensées, fait accoucher d’une idée non aboutie
Niveau 1
- Se contente de reproduire
- Tue tout esprit de créativité par ses critiques cyniques
- Confond déconstruction créative et destruction gratuite
- Confond pensée divergente et réflexion chaotique, pensée convergente et sclérose du passé